La Guadeloupe nous montre la voie… qu’il ne faut pas suivre!

Les récents événements en Guadeloupe ont mis toute la gauche en émoi. Il est vrai que le mouvement reprend tous les éléments symboliques qui font le bonheur des militants: la “résistance à l’oppression”, la “lutte contre les profiteurs” et autres thèmes bien connus. D’un côté le « peuple » misérable et exploité, de l’autre quelques familles de « profiteurs ». Et le tout dans le folklore de la violence style mai 68. De quoi faire saliver tous les Besancenot de cette terre, et par voie de mimétisme de précipiter dans les avions pour les Antilles Ségolène, Michel et les autres. Et la conclusion lapidaire est tombée : la Guadeloupe nous montre la voie.

« Les faits, rien que les faits », comme disait Lénine (ou était-ce Sherlock Holmes ?). Il est peut-être temps de quitter les slogans et s’interroger sur un certain nombre de réalités qui ne sont pas aussi simples.

On a insisté jusqu’à plus faim sur le fait que « les prix des denrées sont exorbitants en Guadeloupe ». Admettons que ce soit le cas, et que les denrées soient disons deux fois plus chères qu’en métropole. La question que personne ne pose est comment est-ce que des prix aussi élevés arrivent à se maintenir. Car même en situation de monopole, un vendeur n’a aucun intérêt à fixer les prix à un niveau que ses clients ne peuvent pas payer. En d’autres termes, les prix « exorbitants » ne peuvent se maintenir que s’il existe en contrepartie un pouvoir d’achat « exorbitant » du côté des acheteurs. Autrement, les ventes se réduiraient rapidement et avec elles le profit du commerçant. Si depuis des années on vend en Guadeloupe des yaourts à 5 euros, c’est qu’il y a suffisamment de gens qui ont l’argent pour les acheter.

En fait, l’explication de à ce paradoxe doit être recherchée dans la structure de l’économie de la Guadeloupe : une économie qui produit peu (et avec une productivité faible) mais se voit garantir une consommation au niveau européen par l’injection continue de monnaie par la métropole. Les prix d’abord. L’offre de produits en Guadeloupe est faible : on produit peu de chose sur place, et le reste doit être importé par l’intermédiaire d’infrastructures (port, transports) dont le débit est limité. D’un autre côté, la demande est alimentée par une injection continue d’argent venant de métropole, que ce soit sous forme de salaires payés aux fonctionnaires (au niveau métropolitain + 40%…), d’allocations calculées aussi sur un niveau de vie métropolitain (RMI, allocations familiales, etc.), ou sous la forme d’investissement en infrastructures. C’est la confrontation de cette demande surabondante avec une offre insuffisante qui pousse les prix vers le haut. Et c’est pourquoi la revendication du LKP d’une augmentation générale de 200 euros ne résout rien : une telle augmentation poussera la demande vers le haut, alors que l’offre reste constante… le résultat ne peut-être qu’une augmentation de prix, qui ira dans la poche des distributeurs. Pas étonnant que ces derniers aient été silencieux depuis le début du conflit…

Le problème de la Guadeloupe est, paradoxalement, que les salaires y sont trop élevés. Oui, je sais que je vais me faire taxer de réactionnaire, mais avant de crier au scandale, cher lecteur, considère les faits : pour évaluer les salaires, il faut les comparer à la productivité du travail. Or, la productivité du travail en Guadeloupe est extrêmement faible, pour des raisons qui tiennent autant à la culture locale, à la formation insuffisante de la main d’œuvre et à la faiblesse des investissements en capital. Pour ne prendre qu’un exemple, la productivité est si faible que l’industrie du sucre (Gardel, la seule raffinerie survivante…) ne survit que grâce aux subventions publiques, alors que partout ailleurs dans les caraïbes elle est rentable. Sans ces subventions, elle n’arriverait pas à payer le salaire minimum à ses travailleurs. Le départ du groupe Accor de l’île ne faisait que tirer les conclusions de cet état de fait : l’écart entre les coûts et la productivité rendent impossible tout investissement qui ne soit subventionné.

Dans une économie fermée ou le salaire est supérieur à la valeur produite par le travail qu’il rémunère, les prix doivent augmenter de manière à équilibrer production et consommation. L’injection d’argent par la métropole ne fait qu’accentuer le phénomène, et provoquer une envolée des prix. Mais la solution à cette situation ne saurait être l’augmentation des salaires, qui ne fera que pousser les prix vers le haut. C’est l’amélioration des conditions de l’offre (en volume et en conditions de concurrence) et surtout de la productivité du travail local. Choses qui, curieusement, ne semblent pas intéresser le LKP.

Et ce n’est pas une coïncidence : derrière la rhétorique victimaire (qui souvent dérape sur des thèmes directement racistes) les organisations qui composent le LKP sont unanimes à vouloir préserver le modèle qui alimente l’économie guadeloupéenne avec une perfusion de fonds provenant de la métropole, celle qui permet de consommer à l’européenne tout en travaillant à l’antillaise. Quelque soit l’organisation syndicale concernée, toute action sociale en Guadeloupe a pour but ultime d’obtenir que l’Etat paye. Et l’Etat finit toujours par payer, parce que sa priorité est le maintien de l’ordre public, et que tirer sur les gens ça fait désordre. Mais les choses pourraient changer : plusieurs études d’opinion montrent que les citoyens de métropole commencent à avoir assez de cette dualité dans laquelle l’outre-mer (et la Corse) leur crache à la figure au nom de l’anticolonialisme tout en leur demandant de cracher au bassinet pour maintenir leurs économies à flot. Les « pwofyteurs » qui profitent de ces transferts feraient bien d’y réflechir…

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4 réponses à La Guadeloupe nous montre la voie… qu’il ne faut pas suivre!

  1. Trubli dit :

    N’est-ce pas finalement le problème de toutes les unions de transfert ??

    C’est ce qui pourrait se passer avec les pays de la périphérie de la zone euro si on passait au fédéralisme.

    Qu’envisagez-vous pour développer la Guadeloupe et l’amener au niveau de productivité de la métropole ?

    • Descartes dit :

      Qu’envisagez-vous pour développer la Guadeloupe et l’amener au niveau de productivité de la métropole ?

      Trois mesures: Investissement massif dans l’éducation et la formation, investissements en capital, fin des dispositifs d’assistance.

  2. Trubli dit :

    Bonjour Descartes. je suis content de revenir à cet article car c’est par celui-ci je crois que je vous ai découvert.

    le 10 mai France O diffusait un reportage à l’occasion de la célébration nationale de l’abolition de l’esclave où la parole fut donnée à un membre du LKP. Ce dernier comparait les prix élevés des denrées alimentaires aux Antilles au régime de l’Exclusif. J’ai alors pensé à votre article.

    Nous sommes en régime de libre-échange et de libre fixation des prix. Rien à voir avec l’époque mercantiliste du 17e siècle, donc la présentation des faits par le membre de LKP ne tient pas la route car les commerçants sont libres de fixer leurs prix.
    Par ailleurs, pour avoir travaillé dans un multinationale française, je sais qu’on offre un salaire plus élevé (+25%) aux employé envoyés aux Antilles, cela signifie qu’il y a donc des personnes dont le niveau de rémunération leur permet d’acheter des marchandises plus chères que dans l’hexagone.

    • Descartes dit :

      [Nous sommes en régime de libre-échange et de libre fixation des prix. Rien à voir avec l’époque mercantiliste du 17e siècle, donc la présentation des faits par le membre de LKP ne tient pas la route car les commerçants sont libres de fixer leurs prix.]

      Exact. Le LKP tombe dans le piège qui engloutit systématiquement la "gauche radicale", celui de l’ignorance historique qui aboutit à des comparaisons sans queue ni tête, faute de comprendre la différence des contextes.

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