Pour un dernier hommage au camarade Delapierre

François Delapierre, figure marquante du Parti de Gauche après avoir été longtemps le fidèle porte-flingue de Jean-Luc Mélenchon est mort, emporté par une tumeur cérébrale.à l’age de 44 ans. C’est triste de voir partir un homme, et encore plus de le voir partir si tôt, à un âge où il peut encore tant donner.

Mais si vous êtes de ceux qui pensent qu’il ne faut pas dire du mal des morts, je vous conseille d’arrêter ici votre lecture. Pour moi, c’est Voltaire quia raison : « nous devons des égards aux vivants, aux morts nous ne devons que la vérité ». Et concernant Delapierre, je vais reprendre la formule de Bossuet, « il m’a fait trop de mal pour que j’en dise du bien », et pas assez de bien pour que je n’en dise pas du mal.

Quelqu’un écrira-t-il un jour l’histoire fort peu reluisante de ces gauchistes qui, après avoir fait une révolution de théâtre au nom du prolétariat – ah, si seulement il n’y avait pas eu ces salauds de « cocos »…- se sont reconvertis aux charmes du mitterrandisme au tournant des « années fric ». Mystère de cette génération politique – celle de Julien Dray (« Juju ») et de Jean-Luc Mélenchon (« Méluche »), de Harlem Désir et de Jean-Christophe Cambadélis (« Camba ») – qui est passée en seulement vingt ans d’une lecture intégriste de Marx, Lénine, Trotsky, Bakounine à la défense passionné de ce « compromis de gauche » qu’était le traité de Maastricht.

François Delapierre (« Delap’ ») n’est pas de cette génération, mais de la suivante. Celle des « bébés Mitterrand » qui se sont réveillés à la politique au milieu des années 1985 pour être habilement manipulée pour mettre leur jeunesse au service de la réélection d’un vieillard malfaisant. Pour les plus jeunes de mes lecteurs, un petit rappel de ce que fut la plus brillante opération de manipulation et de marketing politique de l’histoire récente de notre pays s’impose. Plantons le décor : nous sommes en 1985. Après avoir trahi ses idéaux et devenu « raisonnable » en 1983, le Parti socialiste est au plus bas et se prépare à des élections législatives difficiles. Il faut à Mitterrand une masse de manœuvre. Où la trouver ? Pas dans la classe ouvrière, déçue par le « tournant de la rigueur ». Il vaut mieux faire confiance à ceux qui, n’ayant ni passé ni expérience, prendront facilement des vessies pour des lanternes. Autrement dit, les jeunes.

On peut reprocher à Mitterrand beaucoup de choses, pas d’avoir manqué de mémoire. Il se souvenait parfaitement comment la jeunesse – la jeunesse des « classes moyennes », s’entend – a fait vaciller le pouvoir du général De Gaulle en 1968. Ils savait que cette jeunesse dispose d’une sympathie quasi automatique des médias et des « gens qui comptent », et de ce fait d’une quasi-immunité. Mais comment la mobiliser, comment l’attirer dans le camp d’une « gauche » qui a abandonné tout espoir de « changer la vie », gangrenée par l’affairisme, reconvertie en porte-voix du néo-libéralisme ? Il faut trouver un « motif », un combat qui fasse oublier les renoncements des socialistes sur le plan économique et social. Ce sera le « combat anti-raciste ». Et pour l’organiser, Mitterrand a ce qu’il faut. En 1981, il avait déjà séduit des gauchistes de tout poil en leur promettant de réaliser leur plus cher désir : avoir la peau du PCF. En 1985, ces archi-manipulateurs rompus à l’exercice de la gestion conspirative feront des merveilles. Pendant que Mitterrand ouvre les médias à la face grimaçante de Le Pen, « Juju » Dray met en place la machine de guerre que sera SOS-racisme. C’est lui qui choisit les cadres, veillant dans la meilleure tradition trotskyste à garder un contrôle total de l’organisation. Faut-il de l’argent ? Pas de problème, les gauchistes reconvertis contrôlent aussi l’UNEF-ID – le syndicat étudiant créée suite à la scission de l’ancienne UNEF, trop proche du PCF au goût de certains – et par son intermédiaire la MNEF. La mutuelle étudiante sera pillée pour financer la conquête de la jeunesse par les gaucho-mitterrandiens, qui se serviront abondamment au passage. SOS-racisme sera aussi financée avec de l’argent public, notamment à travers du FAS – un fonds créé en 1958 pour financer des actions d’intégration des travailleurs immigrés – devenu le FASILD. Le téléguidage de l’opération par l’Elysée est raconté sans ambiguïté par J. Attali dans « Verbatim ».

Il y a un public que les gaucho-mitterrandiens veulent a tout prix organiser pour les combats à venir : c’est celui des lycéens. « Juju » Dray sait bien que plus on les prend jeunes, plus ils sont faciles à dresser. C’est pourquoi il est attentif aux « jeunes pousses » qui apparaissent lors des grèves contre la loi Devaquet en 1986. François Delapierre est de ceux-là. Il devient rapidement membre de la « cour » de Dray à SOS-racisme et, les socialistes revenus au pouvoir, il deviendra le relais de SOS-racisme à la présidence de la FIDL, encore un syndicat « indépendant et démocratique.

Avec la réélection de Mitterrand, SOS-racisme commence son déclin. Il ne rentre pas dans les plans de Mitterrand de laisser se constituer une organisation à côté du PS et qui pourrait un jour lui tenir tête. SOS-racisme dépérit lentement, et les gaucho-mitterrandiens passent à autre chose. Ce sera pour certains la « gauche socialiste », courant interne du PS qui soutenait contre toute évidence qu’on peut rendre culte à Mitterrand, voter la politique d’austérité et du « franc fort », faire campagne pour la ratification du traité de Maastricht tout en étant fidèle aux mânes de Jaurès ou de Marx. François Delapierre les suivra, en devenant le porte-serviette, quand ce n’est pas le porte-flingue, de Mélenchon. De l’expérience, il gardera une vision manœuvrière et manipulatrice de la politique, un mépris absolu pour tous ceux qui ne partagent pas sa vision des choses, une admiration acritique pour grand-papa Mitterrand dont papa Mélenchon est le prophète. Et bien entendu, un solide anticommunisme.

Au PG, il sera dès le départ l’éminence grise de Mélenchon, l’un des membres du très petit cercle qui entoure le Petit Timonier et exerce sur lui une influence souvent néfaste. Sa fidélité canine, absolue, filiale, fait de lui l’homme qui porte un certain nombre de lourds secrets. A-t-il été l’organisateur du ralliement de Martine Billard – encore une qui est passée par SOS-racisme – au PG, acte qui marque le début de la fin du « parti creuset » ? A-t-il été l’un des concepteurs de la stratégie d’OPA sur le PCF puis, lorsque l’OPA a raté, de la stratégie de « l’autonomie conquérante » ? On le dit, et c’est probablement vrai, mais difficile à vérifier autrement que par des rumeurs, étant donné l’opacité absolue du processus de prise de décision au PG. Tout ce qu’on sait, c’est qu’il n’a jamais exprimé le moindre état d’âme, la moindre nuance sur toutes ces questions.

Le décès de François Delapierre, au delà de la tragédie personnelle qu’il représente pour ses amis et ses proches, est une opportunité de se pencher sur les origines « claniques » du PG et de son équipe dirigeante. Sa disparition aura aussi des conséquences sur le fonctionnement du « cabinet noir » de Mélenchon, qui est l’endroit ou se prennent au PG les « vraies » décision. En effet, Delapierre était l’héritier désigné de Mélenchon, et aurait du prendre la tête du PG lorsque son mentor a décidé d’en quitter la présidence. Avec lui, Mélenchon était assuré de contrôler le Parti à distance. Sa disparition compliquera les choses : le mieux placé pour prendre la tête du PG étant maintenant Eric Coquerel, lui aussi un ancien trotskyste mais qui, ne s’étant jamais converti au mitterrandisme, n’est pas considéré « fiable » par le petit cercle autour de Mélenchon…

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13 réponses à Pour un dernier hommage au camarade Delapierre

  1. marc.malesherbes dit :

    tout décès d’un homme jeune est triste pour ses proches et ceux qui le connaissaient.

    Mais comme dirait Voltaire “Nous devons des égards aux vivants. Aux morts, nous ne devons que la vérité”

    En ce qui me concerne, je ne l’ai rencontré qu’à l’occasion d’un stage de formation qu’il supervisait.

    Et j’ai gardé de ce stage un très mauvais souvenir:

    – F Mitterrand était la référence constante, sans aucune mise en cause de son action dans quelque domaine que ce soit (F Mitterrand, celui qui avait déclaré: « Contre le chômage, on a tout essayé » (citation de mémoire)

    – l’ennemi politique désigné était le petit propriétaire de pavillon qui avait quitté son HLM. Mais par contre rien sur la bourgeoise et ses chiens de garde politiques du PS … Egalement des imbéciles aliénés ceux qui lisaient Voici, Gala … Je l’ai ressenti comme un mépris affichés de certains des moins favorisés. Je n’ai jamais entendu au sein du PCF des années 70 du mépris pour d’autres travailleurs, même quand ils ne partageaient pas nos convictions. Ils étaient “à convaincre”.

    – La libre circulation des personnes (l’immigration sans limites) et des marchandises ne devaient surtout pas être remis en cause car c’était progressiste. Pas un mot sur la libre circulation des capitaux.

    De plus au cours de ce stage, il s’est montré particulièrement imbus de “sa” théorie, agressant ceux qui pouvaient poser des questions pas dans le sens des idées du stage.

    Certainement qu’il avait des qualités, mais pas de chance, je ne les ai pas rencontrées à cette occasion.

    Pourquoi ce témoignage ? parce qu’il me semble éclairer une facette du Parti de Gauche dont F Delapierre était un membre éminent.

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [En ce qui me concerne, je ne l’ai rencontré qu’à l’occasion d’un stage de formation qu’il supervisait. Et j’ai gardé de ce stage un très mauvais souvenir:]

      Je connaissais un peu Delapierre. J’en garde un souvenir qui correspond assez au votre. Il pouvait être charmant, intelligent, intéressant lorsqu’il était en petit comité entre « conspirateurs ». Mais il avait un souverain mépris pour les militants, qu’il considérait comme une troupe tout juste bonne à obéir les ordres du « commandement » et en silence, s’il vous plait. Une vision « militaire » assez typique des gauchistes.

      [De plus au cours de ce stage, il s’est montré particulièrement imbus de “sa” théorie, agressant ceux qui pouvaient poser des questions pas dans le sens des idées du stage.]

      Ah… vous savez, c’est comme à l’armée : réfléchir, c’est commencer à désobéir.

  2. marc.malesherbes dit :

    F Delapierre me paraît emblématique des débuts de carrière de beaucoup de nos dirigeants politiques, syndicalistes … Ils commencent tout jeunes comme conseillers, secrétaires particuliers, assistants parlementaires, puis prennent la place de leur “mentor”, ou se voient attribuer une place éligible “acquise d’avance” par celui-ci.

    Que pensez-vous de ce type de carrière ?

    Elle me paraît fondamentalement beaucoup plus aristocratique que démocratique. Elle nous a donné de grands hommes: Richelieu, Mazarin, Colbert, Dubois … et de moins bons.

    Elle me paraît également plus fréquente à gauche qu’à droite (1), car c’est le moyen pour tous ceux qui n’ont pas de “capital social” civil de se hisser aux plus hautes fonctions. Cela peut donc aussi être nécessaire en démocratie.

    Pourtant, spontanément, j’ai une réticence à privilégier les “apparatchik” plutôt que ceux qui se battent sur le terrain. Mais on pourrait dire que ce combat quotidien les empêchent de réfléchir (2) et surtout d’avoir la vue d’ensemble qu’a celui proche du mentor, et encore plus de connaître les chausse-trapes de celui qui est proche du pouvoir.

    Bref, je ne sais qu’en penser.

    (1) ce qui ne veut pas dire qu’elle n’existe pas à droite, mais je connais moins.

    (2) j’ai quand même des doutes: n’est-ce pas la confrontation avec le réel de nos concitoyens qui nous permet d’évoluer ?

    • Descartes dit :

      @ marc.malesherbes

      [F Delapierre me paraît emblématique des débuts de carrière de beaucoup de nos dirigeants politiques, syndicalistes … Ils commencent tout jeunes comme conseillers, secrétaires particuliers, assistants parlementaires, puis prennent la place de leur “mentor”, ou se voient attribuer une place éligible “acquise d’avance” par celui-ci.]

      Oui. F. Delapierre est emblématique d’un type de carrière très particulier. Il y a bien entendu le processus que vous signalez, et qui fabrique des dirigeants politiques qui n’ont jamais vécu que dans le monde étroit des combines politiques, sans jamais se confronter aux rapports sociaux, économiques, politiques du monde réel. Mais il y a aussi dans son parcours la marque du fonctionnement « clanique » de ce gaucho-mitterrandisme. On pourrait presque parler d’un fonctionnement maffieux, ou la fidélité et la loyauté au « capo di tutti capi » est l’attribut qui fait ou défait les carrières.

      [Que pensez-vous de ce type de carrière ?]

      Je pense qu’elle produit des dirigeants coupés du monde réel.

      [Elle me paraît fondamentalement beaucoup plus aristocratique que démocratique. Elle nous a donné de grands hommes: Richelieu, Mazarin, Colbert, Dubois … et de moins bons.]

      Je ne le crois pas que les exemples soient bien choisis. Richelieu, Mazarin, Colbert sont montés à la force du poignet. Venus de la toute petite noblesse, ils ont du supporter les humiliations, se battre pour acquérir des positions. Ils ne se sont pas contentés de porter la serviette – ou le flingue – d’un patron.

      [Pourtant, spontanément, j’ai une réticence à privilégier les “apparatchik” plutôt que ceux qui se battent sur le terrain.]

      Il y a apparatchik et apparatchik. Au PCF, il était pratiquement impossible d’arriver tout en haut avant le règne du Père UbHue sans avoir derrière soi un parcours syndical. Tous les secrétaires généraux du PCF avaient travaillé des années en usine avant de devenir des « apparatchiks ». Et le fait d’avoir un travail comme tout le monde, de s’y faire des amis qui ne sont pas dans l’étroit cercle de la politique, ça vous donne des répères.

  3. leucace dit :

    Effectivement,le deuil de F.Delapierre,nous choque de part son injustice essentielle.
    La question politique soulevée est celle du Mitterandisme et de son prolongement le Mélenchoniseme.
    A mon sens ,il faut aller encore plus loin.
    Le problème est la disparition des souvereinistes de gauche du champ politique.
    Pas d’élus ou si peu,en proportion moins de 1% sur les 600000 élus que comptent la république en 2015.
    Pas d’unité contrairement à LR et l’UDI qui ont des accords électoraux,au FN faisant corps face aux menaces internes,la gauche de la gauche ira désunie aux régionales,pour prendre une nouvelle raclée électorale.
    Comment en France en est on arriver là?
    Dans son texte vif, clair comme à son habitude,Descartes a pointé des élèments de réponse.
    Quant à l’avenir,il semble que les états majors (ou minors?),des organisations à la gauche de la gauche,sont incapables de formuler une ligne attractive,de conquête du pouvoir en France,jusqu’à quand?

  4. xc dit :

    Deux remarques mineures: c’est “DraY” (et j’aurais mis “amateur de montres” plutôt que “Juju”), et dans les financements publics de SOS Racisme, il ne faudrait pas oublier les 80000F de remise pour les contraventions pour stationnement illicite consentis par Mitterrand.

    • Descartes dit :

      @xc

      Je prie mes lecteurs d’excuser mon erreur inexcusable sur l’orthographe du nom de Julien Dray – j’ai corrigé le texte. Cela fait des années que je le connais, et je fais à chaque fois cette faute. C’est pratiquement un acte manqué… 😉

      Quant aux contraventions, ne soyons pas trop durs… si l’on ne peut pas tirer un petit privilège lorsqu’on est copain du patron, pourquoi faire de la politique ?

    • BolchoKek dit :

      >si l’on ne peut pas tirer un petit privilège lorsqu’on est copain du patron, pourquoi faire de la politique ?< En ce qui me concerne, ma principale motivation est justement qu’il n’y ait plus de “patrons”…

    • Descartes dit :

      @ BolchoKek

      C’était de l’ironie…

    • BolchoKek dit :

      @Descartes

      Mais moi aussi ! Comme quoi, lorsque l’on veut faire passer l’ironie à l’écrit, il est vrai qu’il faut forcer le trait…
      Je voulais dire par “plus de patrons”, “plus de gens comme Mitterrand”…

  5. samuel dit :

    Bonjour, je ne connaissais pas Verbatim d’Attali. Cela a l’air d’etre un livre tres interessant. Quelques questions : y-a-t-il des choses interessantes sur la decision par Mitterand du tournant de la rigueur ? Si oui dans quel volume ? Et dans quel volume exactement peut-on trouver ce que dit Attali sur la mise en place par Mitterand, de ce jeu de marionnettes mediatiques opposant JM Le Pen à SOS Racisme ?

    • Descartes dit :

      @ samuel

      [Bonjour, je ne connaissais pas Verbatim d’Attali. Cela a l’air d’être un livre très intéressant.]

      Il l’est en effet. Je vous mets tout de même en garde, il n’est pas à prendre au pied de la lettre, notamment parce que les épreuves ont été soumises à Mitterrand avant publication, et que ce dernier les avait considérablement « arrangées ». Il a été aussi beaucoup reproché à Attali d’avoir déformé certains propos… mais cela reste intéressant comme peinture d’une époque, d’une ambiance, d’une mentalité.

      [Quelques questions : y-a-t-il des choses intéressantes sur la décision par Mitterand du tournant de la rigueur ? Si oui dans quel volume ?]

      Dans le premier volume, qui couvre la période 1981-86. C’est là aussi que vous trouverez les éléments sur SOS-Racisme, même s’il en parle un peu aussi dans les autres volumes.

    • BolchoKek dit :

      @ samuel

      Attali est toujours intéressant à lire. Bien sûr avec du recul, mais surtout parce que l’homme est dans ses convictions symptomatique d’une époque, ou plutôt d’une génération de gourous qui s’écoutent parler, qui sont aujourd’hui en voie de ringardisation très avancée. L’homme des années 1980 n’est donc pas aussi définitif qu’on le croyait…

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